Les obsèques de ma grand-mère via facebook

Le jour où Sophie Wilmès plongeait la Belgique en plein confinement, celle de mes grand-mères qui était encore en vie, était emmenée à l’hôpital pour crise cardiaque. Si j’ai bien suivi, elle a passé une journée de sursis en plus, dans le coma, et est finalement décédée dans la nuit de samedi à dimanche. L’hôpital a détecté des taches dans ses poumons, et a craint une infection au Covid-19, mais finalement, il est beaucoup plus probable qu’il se soit agi d’une simple fausse route. Comme vous le savez, le gouvernement veut éviter une propagation trop rapide du Coronavirus, afin de ne pas dépasser la capacité d’accueil des hôpitaux, et de pouvoir offrir des soins à toutes les personnes qui souffriraient du Covid-19. Les rassemblements sont donc fortement limités (distanciation sociale dans les commerces et lors de promenades, interdiction de réunir une foule dans un espace confiné etc.) La notion de famille est désormais envisagée dans ce qu’elle a de plus nucléaire. Parents et enfants vivant sous le même toit. La plupart des évènements familiaux sont d’ailleurs interdits : baptêmes, mariage, tout cela est reporté… Les obsèques sont autorisées pour les parents du premier degré et leurs conjoints. Je n’ai donc pas pu assister physiquement aux obsèques de ma grand-mère. En plus du curé, de la sacristine et du personnel des pompes funèbres, les seules personnes autorisées dans l’église étaient donc mes oncles et tantes. Mes parents, qui travaillent dans le médical, ont préféré ne pas se rendre aux obsèques, afin de limiter la propagation du virus au cas où ils étaient porteurs sans le savoir. Il y a avait donc une douzaine de personnes dans l’église, s’espaçant au mieux les unes des autres. Interdiction pour de toucher le cercueil, en revanche, mes oncles et tantes ont pu manger de l’hostie alors que le curé a toussé pendant toute la cérémonie. (Autant vous dire qu’ils n’étaient pas très rassurés, … heureusement tout le monde se porte bien à l’heure où j’écris ces lignes).

À chaque problème sa solution ! Comme nous n’avions pas le droit d’être physiquement présents, mon oncle a proposé à tout le cousinage d’assister aux obsèques en direct, via Facebook. Je lui suis reconnaissante de nous avoir donné l’opportunité de vivre ce moment en même temps qu’eux. Mais il faut reconnaître que l’émotion n’était pas aussi palpable qu’aux funérailles de mon autre grand-mère, décédée deux mois plus tôt. Les sièges largement espacés les uns des autres, se trouvaient eux-mêmes bien loin de l’autel. Et l’église était si vide qu’elle était presque plus triste que la cérémonie elle-même. De l’autre côté de l’écran, on ne savait pas très bien comment se comporter face à cette situation inédite. Je m’étais habillée de noir, comme le veut la tradition, mais j’avais tout de même mes pantoufles aux pieds. Sous la vidéo, mes cousins partageaient leur détresse face à un internet aussi pourri que le mien : L’image nous plantait tous régulièrement. Quant au son, le PC de mon oncle étant un peu trop loin de Mr le curé, on entendait difficilement ses paroles. On ne pouvait que supposer qu’elles étaient réconfortantes. Certains d’entre nous gardaient le silence, comme de coutume dans une église, d’autres papotaient dans le chat, plaisantaient même parfois, afin qu’une certaine forme de présence soit tout de même palpable. C’est une expérience tellement inédite qu’elle en devient perturbante et que le sentiment de gêne qu’on ressent à ne pas savoir comment se comporter, à se retrouver tous là et pas là en même temps, prend finalement plus d’importance que le sentiment de tristesse dû au départ de ma grand-mère. J’en retire une expérience mitigée, assez dérangeante. Ça n’a rien à voir avec une cérémonie de funérailles classique. Et la qualité d’internet en soi n’y est pour rien. Le fait d’être physiquement rassemblés en un seul lieu, d’avoir la musique qui nous transporte, ça contribue à amplifier nos émotions. On est tous d’accord pour dire que l’ambiance n’y était vraiment pas et qu’on se réunirait dès que possible pour honorer plus dignement la mémoire de la défunte.

Plusieurs jours après les obsèques de ma grand-mère, j’ai repensé aux funérailles de Johnny Hallyday, qui avaient été diffusées à la télévision. Ou aux différentes messes, diffusées à la radio. Et à la réflexion, je ne pense pas que ce soit le fait de passer par la technologie qui ait rendu tellement nulles les obsèques de ma grand-mère, mais plutôt cette absence de présence physique aux côtés des membres de la famille les plus endeuillés. Dès lors, je me demande si, même passé le confinement, il ne serait pas intéressant que les églises investissent dans la technologie pour diffuser elles-mêmes les événements tels que funérailles, mariages, baptêmes, communions, messes de Noël, Pâques, Assomption… ou même les messes classiques, pourquoi pas ? En faisant à un moment donné une petite place aux fidèles qui sont présents par vidéoconférence. (Un peu comme les télévisions et radios font une petite place à leurs téléspectateurs et auditeurs dans certaines émissions) Cela permettrait aux personnes âgées ou à mobilité réduite de rester membres de leur paroisse respective. Malgré la neige, le verglas, le mauvais temps, malgré que l’un ou l’autre vit à l’étranger. Ça semblera peut-être loufoque à certains d’entre vous, mais la technologie est déjà présente dans les églises : la plupart des curés ne montent plus dans la chaire de vérité pour leur prêche. Ils utilisent micros et baffles. Les orgues aussi font appel à la technologie. Alors bon, pourquoi pas ? Au moins, ça permettrait de mettre progressivement en place de nouvelles conventions sociales, propre à ce genre de situation un peu spéciale. On saurait quel genre de comportement adopter depuis nos écrans.