Varsovie 05/05

Au matin, on a fait différents petits jeux, comme par exemple celui du guide et de l’aveugle. Ce n’était pas exactement le même que lors du team-building de février, à Tyminieckiego 3. En effet, la dernière fois, on n’avait pas le droit de se parler, et en plus, les guides changeaient régulièrement, et il fallait chaque fois se réadapter. Cette fois-ci, on pouvait d’abord choisir la manière dont on allait procéder et puis on pouvait encore se parler. C’était beaucoup plus confortable. C’était chaque fois un jeu d’aveugle et de guide, mais le but derrière le jeu était bien différent : à Tyminieckiego, le but était d’apprendre à lâcher prise et à faire confiance « aveuglément » aux gens qui nous entourent; dans la version de Varsovie, l’idée était plutôt de nous montrer l’intérêt de communiquer avec son partenaire avant de se lancer quelque part « les yeux fermés », et l’intérêt de communiquer également sur les besoins qui apparaissaient en cours de route, alors qu’on ne les avait pas prévu.

Jusqu’ici, la formation était vraiment « ludique et éducative ».  Mais alors qu’on venait une fois de plus de bien rigoler, nous avons été invités à réfléchir par deux à ce que représentait l’EVS pour nous, ce qu’on voulait en faire, ce qu’on voulait acquérir. Chacun de nous a eu sa minute d’introspection.
Sournoisement, une certaine tension s’est installée parmi nous. Nous étions alors tellement concentré chacun sur notre parcours avant d’arriver en Pologne, que nous n’avions pas remarqué à quel point nous vivions tous la même expérience. Nombre d’entre nous a ressentit alors une sorte de gêne.

Zut alors! Au fond, c’est vrai! Qu’est-ce que je compte en faire de cet EVS ? Chez moi, tout le monde me félicitait, m’enviait cette opportunité, comme si c’était la meilleure des choses qui puisse arriver à un jeune de mon âge. Et voilà que ça m’apparaît comme une simple année de travail à l’étranger. Travail pas trop difficile, pas trop contraignant. Une petite vie pépère, en somme. Logée et nourrie, avec un peu d’argent de poche en prime. Trop bien! me dirait-on. Et je répondrais « Oui, en plus ça me fait de l’expérience et c’est plus sympa que d’envoyer des lettres de candidature à longueur de journée »

À écouter mon entourage, j’ai le sentiment d’avoir gagné le grand prix à la loterie nationale. Je ne sais pas comment, mais l’EVS jouit d’une excellente réputation auprès du grand public. Quand je pense à tous les efforts que j’ai fait pendant mes études de logopédie, à toutes les soirées que j’ai consacrées à des préparations de séances logopédiques inutiles,  à tout ce temps, toute cette énergie dépensée pendant les vacances à étudier… en vain! Et voilà que sans le moindre effort, on m’offre le monde sur un plateau? Wow! C’est vraiment très bizarre.

Finalement, l’effort ne paye pas. Ni la persévérance. Ça n’amène que déception et sentiment d’infériorité. Quand on a tout essayé, qu’on a donné le meilleur de soi-même, entendre un prof vous dire qu’il est grand temps de se bouger, comme si on avait simplement rien fait depuis le début, c’est destructeur, mais d’une force! Même en me doppant, j’arrivais à de piètres résultats. Alors pourquoi, m’offre-t-on cela, à moi, qui sur le coup, ait le sentiment d’être une ratée, une losseuse totale? À moi qui ait abandonné mes études sans même avoir la force de finir l’année? Un sentiment de profonde injustice m’envahit alors.

De son côté, Mia, ma compagne de chambre, m’explique sur un ton révolté qu’elle est dégoûtée par la tournure qu’a pris sa vie. Elle a passé son temps à étudier pour un p**** de diplôme d’ingénieur, et aujourd’hui, il n’y a pas de travail pour elle. On lui propose de suivre une formation de fleuriste. Elle m’explique que si seulement elle avait su, elle se serait amusée pendant ses études, et serait devenue fleuriste directement.

 

Ce qui paye bien par contre, c’est la sérendipité, l’opportunisme. Car c’est ça qui m’a conduite à cet EVS. La curiosité et cet espèce de « après tout pourquoi pas », « qui n’essaye rien n’a rien », « on verra bien où ça me mène ». Cette mentalité « Allez, soyons fous ».

Alors pourquoi suis-je ici? Parce que j’ai le goût de l’aventure. Pas question de rester enfermée dans ma chambre devant mon ordi à collectionner les offres d’emploi. Je veux bouger, faire quelque chose de mes journées, apprendre encore, ne pas rester sur un échec. Je veux rencontrer du monde, découvrir de nouvelles cultures et d’autres langues, perfectionner celles que je connais déjà!

Je suis alors dans un tel état d’esprit que tous ces beaux projets me paraissent creux, inutiles, bouche-trous! Une grande tristesse s’est alors emparée de moi. J’essaye de me rassurer :

 Come on ! Depuis le temps que je voulais partir à l’étranger en Erasmus, mais que j’avais peur de ne pas pouvoir étudier dans une langue étrangère… Cet EVS, c’est une opportunité!

J’étais tellement nerveuse ce soir là que j’ai parlé dans mon sommeil.

Qu’est-ce que je compte faire de cet EVS? En profiter à fond! Je vais acquérir de l’expérience, la connaissance de la langue et de la culture polonaise, mais je vais aussi prendre du bon temps, après 6 années d’étude continue, j’ai facilement 8 mois de grandes vacances à rattraper.

Vous connaissez le youtubeur Gui-home? Dans une de ses vidéos, il imite un étudiant en pleine panique lors d’un examen « Et si je laissais tout tomber? Là! Tout de suite?  Et que je partais à l’autre bout du monde? » Je l’ai souvent pensée cette phrase. Hé bien ça y est. C’est exactement ce que je fais, mon ami! Je m’enfuis à l’étranger, le temps de … heu… de retrouver confiance en moi.

 

Nous n’étions pas encore remis de nos émotions quand du matériel a été mis à notre disposition pour exprimer nos idées. C’était un travail pour nous-même. Comme je n’avais pas encore trouvé de mots à ce moment-là, j’ai juste réalisé une planche de bd seulement avec des couleurs. Pour exprimer mon ressenti. Pas de texte. Pas vraiment de dessin. Et pour la dernière case, j’ai laissé un grand vide, car ce qu’il va m’arriver est encore un mystère.

Puis Agnesca nous a expliqué qu’on devait s’attendre à un pic d’humeur. Après son explication, tout le monde était un peu désenchanté à l’idée de ne rien pouvoir faire contre ce coup de blues. Je pense qu’on a tous détesté devoir remettre en question notre présence ici. Je pense aussi qu’avec le recul, on y verra tous plus clair.